A travers l'analyse précise et fine des institutions, des oeuvres écrites, des documents, la question que Louis Gernet ne cessa de poser au monde ancien nous concerne de façon directe : pourquoi et comment se sont constitués ces formes de vie sociale, ces modes de penser où l'Occident situe son origine, où il croit pouvoir se reconnaître et qui servent aujourd'hui encore à la culture européenne de référence et de justification ? Envisagé de ce point de vue, ce qu'on appelle traditionnellement l' « humanisme » se trouve remis à sa place, situé historiquement, relativisé. Mais dépouillée de sa prétention à incarner l'Esprit absolu, la Raison éternelle, l'expérience grecque retrouve couleur et relief. Elle prend tout son sens dès lors que, confrontée aux grandes civilisations comme celles du Proche-Orient, de l'Inde, de la Chine, de l'Afrique et de l'Amérique précolombienne, elle apparaît comme une voie, parmi d'autres, dans laquelle l'histoire humaine s'est engagée. Louis Gernet était mieux armé que quiconque pour mener cette enquête. Philosophe, sociologue et helléniste, il appartenait à la génération des Hertz, Mauss et Granet qui furent ses amis et dont il avait l'envergure intellectuelle.