Partout, ça se rebiffait. Les années 1970, a-t-on dit à droite et à gauche, du côté de Samuel Huntington comme de Michel Foucault, ont été ébranlées par une gigantesque « crise de gouvernabilité ». Aux États-Unis, le phénomène inquiétait tout particulièrement le monde des affaires, lui qui était mis en cause de toutes parts, confronté simultanément à des indisciplines ouvrières massives, à une « révolution managériale » réelle ou supposée, à des mobilisations écologistes inédites vécues comme des « attaques sur la libre entreprise », à l’essor concomitant de nouvelles régulations sociales et environnementales, et - racine de tous les maux - aux ravages de ce que Friedrich Hayek fustigeait alors comme une « démocratie sans limite ». C’est à cette occasion que furent élaborées, par réaction, dans un mouvement de contre-offensive multiforme face à cette vague de révolte généralisée, de nouvelles tactiques politiques destinées à l’endiguer et à la neutraliser, de nouveaux arts de gouverner encore actifs aujourd’hui - une nouvelle gouvernance capitaliste dont ce livre propose de retracer, en faisant le récit des conflits qui en constituent les sources, l’histoire philosophique. On y apprendra notamment comment fut imaginé un nouveau « management des ressources humaines », imposé le « primat de la valeur actionnariale », formulé un « management stratégique de l’environnement social » sur fond de guerre aux « parties prenantes », remobilisée à des fins de dérégulation une « responsabilité sociale des entreprises » avec ses « codes de conduite », échafaudées, enfin, des stratégies invasives de « limitation de la démocratie » et de « détrônement de la politique », parmi lesquelles la « constitutionnalisation économique de la politique » et une « micropolitique de la privatisation ». Cette généalogie mettra aussi en lumière les racines intellectuelles méconnues d’un libéralisme autoritaire aux multiples facettes qui est à l’heure actuelle de plus en plus ostensiblement remis à l’ordre du jour.