«Le titre Mémoires d’Hadrien s’inscrit sous la double autorité de l’Histoire, celle de l’Empire romain du IIe siècle après J.-C., et de l’histoire littéraire, celle d’un genre, celui des Mémoires, qui a ses règles et ses modèles. De fait, le sujet, le style et la pensée de cette œuvre appartiennent à la tradition française la plus purement classique. La pensée s’y développe en une longue méditation analytique à la première personne, selon le mode de nos mémorialistes du XVIIe siècle. Le style emprunte ses périodes complexes et ses asyndètes aux balancements équilibrés de la prose de Tacite et de Cicéron. Et le sujet en est la réflexion critique impitoyable portée sur son règne par un empereur qui fut un grand homme d’État. Qui croirait en lisant cette évocation du lointain siècle d’or des Antonins par un homme «maître de [soi] comme de l’univers» que son auteur fut, quelques années plus tôt, le témoin d’une déflagration mondiale ? Qui croirait, par ailleurs, que ce roman pût être contemporain, à peu de mois près, d’un essai polémique de Nathalie Sarraute, intitulé L’Ère du soupçon, qui affirmait le caractère irréversible de la révolution romanesque, la mort du personnage, la déconsidération de l’action, qu’elle soit héroïque ou criminelle, la disparition de l’analyse et de la description ?»
Henriette Levillain.