Voici donc de quoi sont capables aujourd'hui l'université et la recherche françaises : produire en une douzaine d'années un ouvrage d'histoire de la littérature française, du Moyen Age à nos jours, appelé à faire date par son ampleur et sa nouveauté. Trois mille pages en trois volumes, sous la direction de six savants éprouvés - Frank Lestringeant et Michel Zink pour le premier volume, Jean-Charles Darmon et Michel Delon pour le deuxième, Patrick Berthier et Michel Jarrety pour le dernier - qui apportent aux chapitres de l'oeuvre collective leur propre contribution. Le tout réalisé par une centaine d'enseignants-chercheurs. Devant le projet affirmé de décrire et d'analyser sous ses multiples aspects - sociaux, politiques, idéologiques, linguistiques, esthétiques, pratiques, etc. - la production littéraire d'un millénaire dans l'espace de la langue française en progression et de la nation en lente formation, le premier mouvement peut être de recul et d'incrédulité, en un temps d'hyperspécialisation, de méfiance à l'égard des théories, des "grands récits", remplacés par des dictionnaires. On imagine alors quelle énergie intrépide il a fallu à Michel Prigent, maître d'oeuvre et éditeur de l'ensemble, pour mettre sur pied une équipe, choisir ses directeurs, piloter le projet et le mener à bien. On comprend aussi l'entrain vendeur qu'il met à vanter, dans une brève préface, le plaisir que l'ouvrage va nous procurer... Ainsi sont donnés les moyens de nous comprendre, avec les savoirs du temps, dans notre histoire nationale, depuis les clercs du Moyen Age jusqu'aux intellectuels médiatiques d'à présent. Puisque ce sont les oeuvres et les institutions littéraires qui nous constituent d'abord, à nos propres yeux, comme nation parmi les autres nations, cette "France littéraire" cristallise un moment de notre histoire qui fait lui-même histoire et qu'on n'a donc pas fini de commenter.