Tout en proposant une lecture critique de la modernité, les philosophes contemporains ont souvent nourri un dialogue serré avec les philosophes du Grand Siècle. Ce retour critique vers le siècle de la raison et du calcul a en réalité contribué à dessiner les contours d'une époque qui nous apparaît comme étrangement familière. Qu'il s'agisse des sciences humaines ou des sciences cognitives, cette période décisive de l'histoire de l'Europe, que Foucault désignait volontiers comme le « moment cartésien », n'apparaît pas seulement comme un moment de rupture, mais également comme une révolution dans l'ordre du savoir dont les échos et les effets sont encore perceptibles dans les débats contemporains sur les rapports entre l'âme et le corps, les mondes possibles, les fondements du droit et le pouvoir symbolique, ou encore l'usage de la notion de finalisme en biologie. Qu'il s'agisse de Schlick, Duhem et Lewis, de Heidegger, Horkheimer, Sartre et Deleuze, ou bien de Lacan, Bourdieu et Villey, les contemporains ont souvent cherché chez les modernes une source d'inspiration, un modèle à imiter et à réactiver, ou bien une figure à dépasser, à réfuter et à subvertir. Descartes, mais aussi Hobbes, Pascal, Leibniz, Spinoza ou Locke, apparaissent ainsi comme nos contemporains, c'est-à-dire comme des penseurs dont la philosophie est, dans notre présent, encore à l'oeuvre.